En avril 1984 je suis approché de nouveau par un membre éminent de la société Trayvou qui me propose de rencontrer Bernard Tapie à Paris. Nous avions déjà eu un projet de collaboration en fin d’année qui n’avait pas débouché.
Il faut dire qu’à cette époque Bernard Tapie est entrain de devenir une véritable star du petit écran, Il est invité dans toutes sortes d’émissions
Il sera élu « Homme de l’Année » par les medias en 1984 puis consacré personnalité préférée des français par des sondages d’opinion.[]
Il a repris le groupe Testut/Trayvou en 1983 après un redressement réussi de Terraillon en 1981. Il est entrain de mener une vaste offensive dans le milieu du pesage. Les principaux balanciers ont déjà basculé dans son camp. Il vient de reprendre la société KHUN ET FLECHEL et les balances AMAP et LEONARD. Qui sera le suivant ?
Jean Escharavil qui l’a rencontré à Lyon quelques temps auparavant est déstabilisé par l’offre de rachat que lui a proposé Tapie. Les principaux cadres , dont je fais partie ,se demandent s’il ne va pas céder.
Entre mon vieux maitre Jean et la nouvelle star Bernard, mon cœur balance mais une proposition comme celle là ne peut pas se refuser. D’autant plus que l’invitation est aussi faite à mon épouse de se joindre a nous pour ce voyage à Paris. Le rendez vous va se passer dans ses bureaux avenue de Friedland.
J’avoue que je suis plutôt intimidé quand je rentre dans le bureau de Bernard. Il m’accueille avec sa voix grave et chaude d’un « alors c’est vous l’homme de talent que mes équipes veulent à tout prix ! »
Son directeur industriel Gilbert Breyton (ancien de Thomson) qui a provoqué la rencontre et que j’ai déjà rencontré se tient à ses cotés.
Je revois Bernard en polo rose Lacoste, à l’aise et en même temps très attentionné. Il échange une cigarette avec mon épouse. Il évoque rapidement sa vision de notre métier et son ambition de faire de Testut-Trayvou le plus grand groupe européen de pesage.
Je suis sous le charme de cet homme brillant, direct et simple à la fois. Il rayonne d’optimisme et d’énergie et dans son espace vous vous sentez capable du meilleur.
Nous sommes interrompus par un appel d’un journaliste qui l’interroge sur le dopage dans le milieu du cyclisme. Bernard Tapie répond sans détour en s’excusant auprès de mon épouse pour la crudité des propos.
Puis survient un appel de sa mère qu’il prend au téléphone et avec qui il parle en toute simplicité.
Je me reconnais dans cet homme qui vient d’un milieu populaire et qui réussi à s’imposer par son talent et son culot.
Je lui donne alors mon accord de rejoindre son groupe et nous décidons de la stratégie à adopter pour mon départ de Privas.
Je me place sous l’autorité de Gilbert Breyton pour la stratégie et je rendrai compte au directeur de Trayvou, à l’époque Georges Bouveresse pour l’opérationnel.
Une nouvelle aventure va commencer qui va durer presque 4 ans.
J’aurais l’occasion de revoir Bernard Tapie à trois reprises dans la cadre de mes fonctions. Une fois, en 85 dans une réunion stratégique sur les produits à Noisy le Grand. Il avait toujours en tête qu’on développe une « balance à 1000 balles ». Cette réunion se finira assez mal pour Roger Cohen le directeur commercial groupe GBT qui devait nous quitter peu après. Une autre fois dans un séminaire stratégique en 1986 organisé au château de Maffliers ou Bernard va provoquer une mini révolution de palais en nommant Alain Bariteau patron de Testut et de Trayvou.
Malheureusement ce dernier qui hésite à « faire le ménage » sera vite débordé par la vielle garde qui le fera débarquer dans les 6 mois..
Enfin, une dernière fois pendant un voyage de 3 jours que nous avions organisé pour nos principaux clients à Tozeur en Tunisie.
Au retour, j’ai le souvenir de Bernard Tapie sortant de l’avion tel l’éclair pour aller récupérer le regretté Jean Olejnizack retenu par la police tunisienne des frontières. Comme nous l’a rapporté notre infortuné camarade, un peu plus tard, Tapie est arrivé comme un ouragan en traversant toutes les lignes et en l’admonestant de tous les noms d’oiseaux, les policiers tunisiens ont été littéralement tétanisés par son irruption et les ont laissé regagner l’avion sans rien demander.
En Juillet 1987, je décide de quitter le groupe Testut –Trayvou , j’ai acquis la conviction depuis un moment que Bernard Tapie n’est plus passionné par le pesage mais que le sport et la politique sont des jeux beaucoup plus intéressants pour lui.
Je garde malgré tout un excellent souvenir de cet homme exceptionnel qui m’a donné envie d’entreprendre. J’aurais aimé lui témoigner ma sympathie dans les moments difficiles qu’il a traversés par la suite. Si j’avais un regret ce serait de ne pas lui avoir envoyé un petit mot à ce moment là.
Je sais qu’il est de bon ton dans certains milieus de le critiquer sur sa gestion des sociétés ou sur sa dernière victoire sur le Crédit Lyonnais.
Nous sommes dans un pays ou une certaine classe n’aime pas ceux qui suivent une autre route qu’eux comme disait Georges Brassens dans la mauvaise réputation.
Certes l’aventure Testut Trayvou a mal fini et Tapie en a été responsable. Certains railleront mon égotisme, mais à mon point de vue, sa principale erreur est d’avoir trop fait confiance et d’avoir trop délégué sans contrôle pour la gestion quotidienne à des hommes qui ne le méritaient pas. La liste est longue ! Et je ne donnerai pas de noms car je n’ai aucun compte à régler.
Chacun d’entre nous a son talon d’Achille, Tapie est un entrepreneur, pas un gestionnaire. Si je compare avec du recul, le management de mon vieux Maitre Jean et celui de Bernard, c’était même si la comparaison est osée, l’opposé total. C’est vrai qu’ils ne jouaient pas dans la même cour. Au final, celui de Jean a été plus efficace que celui de Bernard dans le domaine du pesage en tout cas. C’est le « grand » qui a gagné, son groupe coté en bourse est devenu un acteur européen et Testut a disparu.
Jean qui connaissait bien ses limites avait le don de déléguer à des personnes plus compétentes que lui en maintenant sur elles un contrôle presque obsessionnel. Bernard, finalement trop brillant n’a pas pu s’entourer de meilleurs que lui pour gérer ses affaires. C’est dommage !